Vieux gamin
Vieux Gamin
D’abord, il faut que je dise
C’est la toute première fois
Que j’ai soixante-dix ans
Alors ne m’en voulez pas
Si je dis des bêtises.
Le stress du débutant !
Soixante-dix ans !
Eh oui, je sentais bien
Depuis plusieurs semaines
Que tout allait moins bien.
Sans songer un instant
A l’œuvre du poids des ans,
Je m’suis dit « tu te surmènes ! »
Alors j’ai levé le pied :
J’me lève beaucoup plus tard,
Me fais tirer l’oreille
Pour me mettre au boulot.
Et j’arrête tôt le soir
Remettant au lendemain
Ce que je devais faire la veille
Bref, j’apprends à être feignant
Un travail à plein-temps !
Mais las, le lendemain
J’suis d’nouveau ramollo.
Je dois recommencer.
Septante ! J’en reste coi !
Moi qui pensais, enfant,
Que seuls les fils de vieux
Finissaient par être vieux.
Comme ma mère était jeune…
Eh bien, vous savez quoi ?
C’était une idée d’jeune !
Il n’y a pas si longtemps,
C’est simple, il y a vingt ans,
Y’a quelqu’un qui m’a dit
« Tu d’viens un vieux gamin ! »
Vieux gamin, ç’est gentil
Et c’est toujours gamin !
Gamin, oui, je le fus,
Au temps d’la communale
Avant que nos jeudis
Ne d’viennent des mercredis ;
Au temps du père pointu,
Du p’tit gris de la mère Pierre,
D’Hémery, le maréchal,
Des virées chez Sautière,
Ou au temps des pirouettes
Sur les branches d’un tilleul
De la jeune Marinette,
Agile comme l’écureuil…
Vieux gamin ? Je ne sais pas,
Sans doute le fus-je aussi.
Souvenez-vous, y’a vingt ans,
Je travaillais encore,
J’courais comme un lapin,
Enfin… un vieux lapin,
Le marathon d’Sénart
Quarante-deux kilomètres
En 3h 57 !
Avec les pauses pipi
Et les ravitaillements !
Pour moi c’est un record
Que je ne battrai pas.
Vieux gamin aujourd’hui ?
Bien sûr la tête le veut
Mais le corps, est-ce qu’il peut ?
J’ai le foie un peu gras
La prostate qui s’dilate
Les guibolles qui flageolent
Des varices qui fleurissent
Des cheveux blancs, de vieilles dents
La tension, sous tension !
Bref ! J’suis plus souvent patraque.
Ah oui ! J’en ai bavé
A Troyes, sur les boulevards,
En mai deux mille dix-sept,
Pour finir, explosé,
La tête dans mes baskets,
Mon tout dernier semi.
Et j’avoue aujourd’hui
Être plutôt content
Quand j’en termine un quart !
Alors, demain sûrement
Ce sera un huitième
Et plus tard, un seizième ?
Bref ! je n’casse plus la baraque.
Il m’a dit « vieux gamin » ?
Allons, soyons sérieux
Faut pas s’voiler la face !
Demain, après demain,
Debout devant ma glace,
J’verrai un vieux monsieur.
Mais je ne terminerai pas
Sans dire un grand merci
Aux deux femmes de ma vie
La première c’est ma mère,
Dans l’ordre chronologique.
Une très vieille connaissance !
Soixante et onze 20 août
Passés depuis ma naissance
Le premier je m’en souviens
Comme si c’était hier
Ça c’était mal passé
Car elle en fut malade.
Bon, au soixante et onzième
Elle n’est guère dynamique
Mais se tient bien à table.
Sans elle je n’serais pas
Et vous ne seriez pas là
A rire de mes inepties.
Alors Maman, merci
D’m’avoir donné la vie
A l’insu de ton plein gré.
C’est juré, c’est promis
Je viendrai te chercher
Au quatre-vingt unième
Dans ton prochain Ehpad.
Mais bon si t’es plus là
Comme tu viens de le dire
Ça pourrait m’arranger :
Pas besoin de demander
Une permission de sortie !
Maman, c’est pour de rire !
Qui aime bien charrie bien
Et je t’aime…tu le sais bien !
La seconde, c’est ma femme
C’est elle qui a souhaité,
Qui a pensé, géré
Ce sympathique samedi.
C’est elle qui a tout fait
Sans elle rien ne serait
Et vous ne seriez pas là
Pour m’voir souffler les flammes
De mes nombreuses bougies
Dans douze jours vont sonner
Nos vingt-deux ans de mariage
Et quarante-deux d’voyage
Dans nos vies partagées.
Ce nombre quarante-deux,
Qualifié de « pratique »
Par l’mathématicien
Et aussi de mythique
Par le marathonien,
M’a donné une idée.
Regardez cette médaille,
La plus belle d’entre toutes,
Dont je m’enorgueillis
Peut-être trop sans doute.
Collector ! en cristal
Estampillé Lalique !
Je lui offre, en partage,
Juste pour la symbolique,
Et n’y voyez rien d’autre,
Du nombre qu’elle représente.
Après les quarante-deux
Du marathon d’Sénart
Elle sera les quarante-deux
De Françoise et Gérard.
Et merci ma chérie
Pour tout ce que tu as fait
T’as bravé la fatigue
Le stress, les insomnies
Rien que pour mon plaisir
Et soixante-dix bougies
C’est un très beau cadeau
Et une belle preuve d’amour
Alors c’est promis
Jeudi 1er septembre
C’est moi qui t’invite !