Papa,
Jeudi matin,
Les bougies de ta vie
Ont cessé de briller.
J’en garde au fond des yeux
Les dernières pâles lueurs.
Et ton corps s’est éteint,
En silence, sans se plaindre.
Aussi loin que remontent
Mes intimes souvenirs,
Jamais, je ne t’ai entendu gémir.
De Buxières les Froncles
En passant par Nuisement,
L’enfance t’a forgé
Une épaisse cotte de mailles.
Tu fus à rude école.
A celle des paires de claques,
Des coups de canne à boule,
Des maigres tranches de lard
Sur un quignon de pain.
Des levers matinaux,
Des couchers sans souper.
Le bonheur, en ce temps,
N’était pas dans Longpré.
Chevaux, vaches et cochons
Furent ta seconde famille.
Pour manger à ta faim,
Selon ton expression,
Tu allais au turbin.
De cette sombre jeunesse
Sortit un homme plus fort
Mais aussi un père rude,
Bien souvent très rigide.
On craignait tes colères,
Tes humeurs irascibles
Mais dans ce corps de pierre
Battait un cœur sensible.
Les « je t’aime » que sans doute
T'as jamais osé dire
T'as toujours essayé
De nous les faire sentir.
Dans les limites, Papa,
Des possibilités,
Tu as toujours œuvré
Pour notre situation.
Ne pas suivre tes pas
Était ton obsession.
Cindy puis Aurélie,
Plus tard sont arrivées,
Comme tes plus beaux cadeaux.
Alors, papa sévère
Devint pépère gâteau.
Si la vie ici bas
T’en avait laissé le temps
Sans doute serais-tu,
Pour la petite Emma
Dev'nu pépé gâteux.
Les trois quarts de ta vie
Ne furent que du labeur,
Mains calleuses, gouttes de sueur.
Le travail terminé,
Maman et toi vous repartiez
Pour d’autres tâches, toujours et encore…
Combien d'champs labourés,
Et de bois façonné ?
Combien de betteraves
Dépressées, arrachées
Pour faire vivre le foyer ?
Bien sûr, heureusement,
Il y eut de bons moments.
Des Noël chez Camille
Des dimanches chez Mémère
Des journées en famille ...
Pas de vacances, bien sûr,
Mais des voyages d’un jour
École, théâtre, pompiers.
Mais de tous tes plaisirs,
Le foot fut le plus grand
A vélo, mobylette,
et plus tard en voiture,
Par tous les temps tu partais jouer.
Je t’ai accompagné.
Plus tard, Francine aussi
Fut des virées sportives.
Vendeuvre, Maizières, Vitry
Furent les clubs de ton cœur
Et puis nos aires de jeux.
Tu m’as transmis, bien sûr,
Le virus du football
Et longtemps, pour nous deux,
Les chaussures à crampons
Furent celles de nos dimanches
Toute ta vie tu fis preuve
De générosité
Tu as beaucoup donné,Sans calcul, sans compter,
De ton temps, parfois même
Un peu de ton argent.
Tes enfants, petites filles,
A Sylvie, tes amis.
A ta commune aussi
Pour laquelle très souvent
Tu t’es beaucoup investi
A travers le syndicat d’initiative,
La compagnie de pompiers
Dont tu fus l’adjudant,
Le conseil municipal
Jusqu’à offrir
Feux d'artifices
Aux habitants
Et jouets aux enfants.
Un jour, tu eu l’honneur
D'être élu maire-adjoint.
Je te revois encore,
Ceint de l’écharpe tricolore
Ému, le visage pâle,
Mais certainement très fier,
Célébrer, en balbutiant,
Ton unique mariage.
Le mariage de Sylvie
Avec le beau Jean-Louis.
A tes côtés, dans les bois,
Dans les champs, sur les stades,
J'ai passé beaucoup d’heures.
Mais nous nous sommes peu dit
De nos vrais sentiments,
De nos pensées profondes.
Alors, aujourd’hui,
Avant que ta terre
Si souvent travaillée
Te recouvre à jamais
Il est temps qu'on te dise
Ma sœur et moi, « on t’aime ».
Le 24mars 2005