Maman,
Tu as quatre-vingts ans !
Enfin… c’est ce qu’on m’a dit.
Pourtant, quand tu trayais
Tes satanées godelles,
Assise sur ta sellotte,
C’était seulement … hier !
Pourtant, quand tu partais
Charger dans les Vallottes,
Assise sur une ridelle,
C’était juste … avant-hier !
Maman,
Tu as quatre-vingts ans…
Mon dieu ! Comme j’ai vieilli…
Je n’ai pu m’empêcher
De feuilleter les pages
De l’album de ta vie
Je n’ai pu éviter
Des arrêts sur images
Emprunts de nostalgie …
Sur des photos jaunies
Des monochromes sépias
Où tu poses, jeune, jolie,
Tes enfants près de toi.
Tu regardes, tu souris
Mais ton visage trahit
De la mélancolie …
Sans doute elle prit naissance
Aux racines de l’enfance.
Une enfance partagée,
Peu propice aux câlins.
De Dédé à Françoise,
C’est onze moins deux gamins
Que ta mère dut élever
Bien loin d’une vie bourgeoise !
Une enfance perturbée,
La guerre, les privations,
L’exode, les frustrations,
L’école en pointillé
Et les déménagements !
De longues années d’errance
Dans le département
Et autres coins de France
D’Montier en l’Isle à Troyes,
De Vendeuvre au Magny,
Les forêts de Jeugny,
Dinteville et Lionville,
De Plombières ou Villotte !
C’est de la ville aux bois
Que vous suivrez le père.
Au gré de son travail,
A pied ou en roulotte,
Au fil des voies, des rails
Ou bien encore des piles
Du bois qu’il met en stères.
C’est des maisons de pierres
De bois et même de branches
Qui te verront grandir
Pendant ces années folles.
C’est routes, chemins de terre,
D’orties ou de pervenches
Qu’il te faudra courir
Pour te rendre à l’école
Et puis à quatorze ans,
Après période d’essai
Chez Lagrange d’à côté,
Tu prends la clé des champs.
Gilberte et l’pot au lait
Dans la ferme de Longpré …
Tes soirs et tes matins
Tes jours, tes lendemains
Désormais consacrés
Aux pensionnaires des prés.
A force de travail,
Tu sais planter les choux
Et, bien sûr, à la mode,
T’occuper du bétail
Ou biner les carottes
Avec art et méthode.
De foin ou d’caoutchouc
T’es à l’aise dans les bottes !
Quand on te voit juchée
Avec ton frère Gilbert
Sur une remorque de blé
Tirée par deux chevaux
On dirait Déméter,
La déesse des semailles,
Des moissons à la faux,
Sur un carrosse de paille.
Maman,
Tu as quatre-vingts ans
Dont soixante six maint ‘nant
Au service des Lutrat.
Bien plus qu’un CDI !
Un véritable contrat
A durée … infinie !
De Brest jusqu’à Colmar
Du Nord à la Camargue
Du jamais vu, du lourd !
Il mériterait qu’un jour,
Très lointain, ce cas rare
Soit gravé dans le marbre !
Le 10 avril de l’An
Mille neuf cent cinquante deux,
T’enfourches ta bicyclette.
Monsieur le Maire attend
Pour une formalité.
C’est là qu’en moins de deux
Et presque à la sauvette
Tu deviens jeune mariée.
Faut dire que ça urgeait
Car à la Saint Bernard
Naissait ton fils, bronzé
Et mignon à croquer !
Il put s’appeler Parfait
Vous préférâtes Gérard …
Pour les langes, la toilette,
Tu n’étais pas très douée
Il fallut te montrer
Alors, il y eut Huguette.
Il fallait que tu fusses
Devenue une experte
Pour oser commander
Quelques cinq ans plus tard,
Ma petite sœur cadette.
À la nativité
De l’An cinquante sept,
Un tout petit têtard
Qu’on surnomma la Puce,
Me vola ma poussette.
Elle put s’appeler Blondine,
Vous préférâtes Francine.
Elle te ressemblait tant
Et tu faisais si jeune
Qu’il arrivât souvent
Dans son adolescence
Qu’on te prît pour sa sœur.
Méprise ! À l’évidence …
Mais ce petit coup d’jeune
Te faisait chaud au cœur.
Ton travail, tes enfants,
C’est ton seul horizon.
Y’aura bien de temps en temps
Un p’tit voyage d’un jour
Avec l’école primaire,
Des visites chez Mémère
Ou chez tes frères et sœurs
Mais c’est plus dans la cour
De la ferme du Patron
Que tu trouves ton bonheur.
En avril soixante cinq,
Le grand chambardement.
Pour un propriétaire
Qui récupère son bien,
Fermier, fille et fermière,
Employés et enfants
Doivent quitter le moulin.
C’est la grande transhumance,
Veaux, vaches, cochons, engins
Qui partent pour Amance.
Il y a cinquante ans,
Un autre anniversaire …
Un jour tu oseras
Te risquer au permis
Aventurière jadis !
Ma mère, élève pilote !
Bon, tu ne fus pas Alain Prost
Ni même Jean Alési
Mais, au final, tu l’auras !
C’était en soixante six !
Ah ! tu ne l’as pas usé …
Tu affiches au compteur
Moins de cent kilomètres !
Soit six ou sept sorties,
Mais je t’ai vue à l’œuvre !
Moi, passager du samedi
Lycéen voyageur
En provenance de Troyes,
J’affichais bien parfois
Zéro au trouillomètre
Quand tu venais me chercher
A la gare de Vendeuvre
Mais j’suis toujours entier,
Tu ne m’as pas cabossé !
Les virages de l’Arclet
D’la quatre cent quarante trois
Depuis sont d’venus muets
Mais le bitume, chauffé
Par tes folles équipées,
N’en revient toujours pas !
Las, un jour, une critique
Sur la route de Bayel,
Peut-être trop cruelle,
Alors tu prends tes cliques
Et tu claques la portière
Ce sera ta dernière.
Puis avancera la vie …
Soixante seize, en juillet,
Le mariage de ta fille
Faut dire que ça urgeait
Car à la Saint Edmond
Naissait votre déesse,
Mi-ange et mi-démon,
Ta première petite fille.
Elle put s’appeler Princesse,
Ils préférèrent Cindy.
En l’espace d’une année
Tu devenais belle-mère
Et à la fois … Mémère !
De votre petite Miss
Vous devîntes vite gagas
Jusqu’à acheter des glaces
Vous qui n’en mangiez pas,
La ramener chez sa mère
Quand, une fois dans la place,
Elle piquait une colère,
A céder aux caprices,
Même à la nuit tombée …
Pour la petite cadette,
Faudra attendre cinq ans,
Après qu’ ton fils ainé
Vous ait tous présenté
A la femme de sa vie.
Mercredi 8 avril
Apparaissait sœurette.
Ah ! Pas le même profil !
Modèle … introverti
Ou moins exubérant.
Elle put s’appeler Marie,
Ce sera Aurélie.
Un jour tu accueilleras
L’une de tes nièces, Sylvie,
Cabossée par la vie.
Tu lui apporteras
Amour et attention
Comme à ta propre fille.
Combien de soirs passés
Avant que tu t’enroupilles
Pour l’aider à apprendre ?
Ou d’heures à l’écouter,
Souvent sans rien comprendre,
Repasser ses leçons ?
Maman, tu es comme ça !
Tu donnes sans compter,
Sans attendre en retour,
Simplement par amour
Ou générosité.
Tu es mère Teresa !
Même hospitalisée
Tu ne peux t’empêcher
De donner des coups d’main
Aux voisins de chambrée…
J’te donne le plat bassin,
Le comprimé, l’ sirop,
J’te retape un traversin,
L’aide soignante des Hauts Clos !
Ils ont failli te garder !
Tu adorais chanter
D’ailleurs, t’as une belle voix …
Sans connaître le solfège,
Il arriva parfois
Que nous chantions en chœur.
Oh ! Pas des chants de beatnik
Ni du genre Stromae,
Non, beaucoup plus classique …
L’histoire du ramoneur
Et son étoile des neiges …
Et les années défilent…
Les années Mitterrand
Et les années Chirac,
Heureuses ou difficiles,
Les aléas, la vie
Que je vous donne en vrac.
Mariages et enterrements
Parfois d’êtres très chers,
Parents, famille, amis,
Dédé, Bernard, ta mère
Françoise, Nelda, Hubert
Ou bien encore Jany,
Le mariage de Sylvie
Avec son beau Jean-Louis
Devant un Maire-adjoint
Tout ému et tremblant,
Puis les naissances d’Aubin
Et de son frère Nathan,
Les mariés de l’An 2000
Ou ton fils qui épouse
Sa moitié de vingt ans déjà
Certes, une fille de la ville,
Qui n’aime pas trop la bouse
Même si les vaches … c’est son dada !
Les années maladies
Du père, pépère, mari,
La naissance d’une princesse,
Ton arrière petite-fille
Pas toujours miss tendresse
Mais quand même très gentille,
Intelligente, taquine
Et que sa mère rouspète
Quand la petite coquine
Fait un peu sa Gilberte.
Elle put s’appeler Sofia,
Ils préférèrent Emma.
Disparition de Lite,
Manaine ou la Patronne,
Selon qui la réclame,
La filleule de Suzanne,
Celui de Marguerite
Ou simplement, la bonne.
Et puis l’année suivante,
Tout au bout de sa lutte
Contre la déchéance,
La mort de notre père
La mort de leur grand père,
De leur pépère Cahute.
C’était il y a dix ans,
Un autre anniversaire …
L’odyssée héroïque
D’Aurélie qui débarque,
Parapluies et coupe-vent
Dans le fond de son sac,
Sur le sable normand
D’la grande Inama Beach
Ou l’histoire d’un Manchot
Séduit par une biche
Et qu’un petit bécot
Mua en Prince Loïc …
Les noces de Fabien et Cindy
Dans leur Maison des Champs.
Ce jour là, le village
Des crapauds accoucheurs
Accouchait de deux cœurs
Unis par le mariage
Devant leur cher enfant,
Parents, famille, amis
Et puis… la bonne nouvelle,
Celle qu’on n’attendait pas.
C’est l’arrivée d’Axelle
Ou le bébé miracle
Que médecins et oracles
Ne prévoyaient même pas.
Notre petite sirène
Aura bientôt deux ans.
A l’instant se termine
Mon voyage dans l’passé.
Ce fut une aventure,
Un travail d’écriture
Un peu à la Jules Verne,
Que de vous raconter
Le tour d’une Praline
En quatre-vingts ans.
Retour vers le futur …
Ce nouveau livre qui s’ouvre
Dont personne ne peut dire
Le nombre exact de pages …
Peu importe après tout
Quelles soient cent, vingt ou deux
Si l’encre pour les écrire
Est le plus souvent bleue.
Donnons-nous rendez-vous
Dans dix ans, dans cinq ans
Ou bien jouons plus sûr
En fêtant tous les âges !
En attendant maint ‘nant
L’heure est venue je crois
De dire, tous à la fois
A la sœur, à la tante,
La belle mère, la grand-mère
Et à l’arrière grand-mère,
A l’amie, la « gouvernante »
Et, bien sûr, à maman
Joyeux anniversaire !